Donis AYIVI, Politiste internationaliste, Consultant en Communication et en Gouvernance démocratique
« Idriss Déby Itno vient de connaitre son dernier souffle (…) sur le champ de bataille ». C’est en ces termes que le porte-parole de l’armée entouré de généraux a annoncé, hier mardi, à la télévision peu avant midi le décès de Déby, le président du Tchad.
Au pouvoir depuis 1990 à la suite d’un coup d’Etat, Idriss Déby a dirigé le pays d’une main militaire. Son règne a connu des hauts et des bas, de la quiétude et des bousculements surtout par des rebelles. En digne militaire, il est mort au front, à l’un de ses multiples combats. Cette fois-ci, les rebelles ont eu raison de lui. Le maréchal Idriss Déby serait mort à la suite de blessures dans des combats au nord de son pays. Protégeant son pays et surtout son fauteuil, il perdit tout. Car la raison principale ayant conduit à ce soulèvement des rebelles est le sixième mandat décroché par Déby sans combat politique.
Cette mort surprise du maréchal président lance le débat et les inquiétudes sur l’avenir du Tchad et de la région en proie au djihadisme.
Décès de Déby, perte d’un « un ami courageux »
La France « perd un allié essentiel dans la lutte contre le terrorisme au Sahel », a réagi hier la ministre française des Armées, Florence Parly à propos du décès de Déby. En effet, les forces tchadiennes ont joué et continuent de jouer un rôle important dans la lutte contre le djihadisme dans le Sahel. Que se soit en Centrafrique où Déby a envoyé des soldats dans un contexte de violence intercommunautaire ou au nord-est du Nigéria en proie à Boko Haram, il a toujours déployé ses troupes au front.
Vu la place importante qu’occupe le défunt maréchal dans la stabilité de la région aux côtés de la France, il se pose un réel problème de la suite de la lutte. Pour Florence Parly, le combat anti-djihadiste dans la région « ne s’arrête pas ».
Oui cela se justifie, le décès de Déby ne met pas fin à la lutte, mais lance des questionnements sur le présent et le futur du combat. Le maître est mort, le pays est instable, les troupes ne pourront pas assurément être déployées de sitôt. C’est le premier hic de cette lutte qui ne mérite pas un break, peu importe la situation. Quel allié trouvé pour jouer ce rôle immédiat d’appui ? La question est sans réponse pour le moment.
Cette situation difficile et sans solution évidente pousse la France à être timorée dans sa réaction relativement à la transition. Elle a été plus que diplomatique par la voix de son ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. La France dit « prendre acte » de la mise en place d’un conseil militaire de transition. Il a indiqué l’importance d’une « transition pacifique » au Tchad. Réaction surprenante ou pas ? Disons plutôt que cette position est conditionnée par la Realpolitik.
La réalité présente n’oblige pas la France démocratique à condamner ce coup d’Etat constitutionnel flagrant. Car, pour elle, l’urgence de l’heure est la protection et la stabilité de la nation à travers une transition militaire d’une « durée limitée » avec un « gouvernement civil et inclusif ». La France politico-diplomatique contre la France démocratique rendue muette, dirait-on.
Cette première réaction de Paris demeure, sans ambages, politique et stratégique en vue d’aider le Tchad à la normalité et aussi protéger les acquis de la France. Par Déby et son pays, les intérêts de la France dans la région sont sous contrôle. Disons que le Tchad constitue la base militaire du pays de Macron pour un accès à loisir aux autres pays amis (Centrafrique, Niger…) et ennemis (Libye, Soudan…). Le président maréchal porte un pan important de la diplomatie militaire africaine de la France. Celle qui justifie et rend opportune la présence des troupes françaises sur le continent. Le décès de Déby, une vraie perte.
De ce fait, le vœu principal de la France serait de voir à la tête du pays un dirigeant à même d’incarner Déby dans l’entendement français. Ce dernier doit impérativement prohiber de sa mode de gouvernance des alliances contre nature menaçant les intérêts français dans la région. Citons dans cet ordre des relations avec la Russie, la Chine…
G5 Sahel tient son souffle
La création du G5 Sahel, en 2014, répondait à une démarche de coopération et de coordination regroupant le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad. Ainsi, le G5 Sahel entend répondre sur deux plans complémentaires notamment le développement durable et le plan militaire.
Sur ce second, la point d’orgue reste la coopération militaire entre les cinq pays. Cette volonté est timidement atteinte de nos jours à cause de la faiblesse militaire de ces pays. Le seul qui fait force et affronte courageusement les djihadistes, c’est le Tchad sous le maréchal.
On peut comprendre un peu d’où vient l’idée du grade de maréchal au feu Déby. C’est certainement suite à ses multiples victoires au front dont la dernière est celle contre Boko Haram sur le lac Tchad. D’ailleurs récemment, le Tchad a déployé un autre bataillon dans la zone des trois frontières, dans le cadre de la Force conjointe du G5 Sahel. Cette unité serait forte de 1 200 hommes qui mènent des actions offensives contre les groupes armés djihadistes : de bons soldats.
Alors cette perte du premier soldat tchadien affaiblit stratégiquement la force du G5. Car la préoccupation actuelle des nouvelles autorités tchadiennes ne serait pas la sécurité régionale, mais nationale.
Stabilité du Tchad, la priorité immédiate
Pour les autorités actuelles au Tchad, l’objectif principal et urgent de l’heure est la sécurité et la protection de l’intégrité du territoire. Le nouveau président de fait, Mahamat Idriss Déby Itno, l’un des fils du maréchal, général quatre étoiles de 37 ans et commandant de la garde présidentielle, dirige le conseil militaire. Déby fils a donc pour lourde tâche de perpétuer la mission de son père dans un climat politique et sécuritaire compliqué.
A-t-il la force, la capacité et la carapace forte comme son papa pour y faire face ? C’est la question cruciale. Car les rebelles, qui auraient tué le maréchal président, sont décidées à marcher sur N’Djamena. Elles ne reconnaissent, pour l’heure, pas le conseil militaire de transition mené par le fils du défunt président.
Même si l’armée tchadienne et le gouvernement suspendu avaient assuré avoir « détruit » la colonne de rebelles et tué 300 combattants, la vigilance reste la priorité. Cette fragilité de l’Etat peut ouvrir la voie à la guerre de positionnement au sein des forces militaires et civiles.
L’avenir du Tchad, dirigé de main de fer jusqu’au décès de Déby, se trouve inquiétante. Il risque d’être marqué par le retour en force des acteurs politiques à travers des manifestations politiques pour réclamer l’ordre constitutionnel et l’organisation d’élection libre, transparente et inclusive. Face à cela, les gardiens actuels du temple « Déby-Tchad » doivent changer de posture. Ils gagneront à être républicains, nationalistes que des défenseurs d’intérêts claniques et personnels. L’union nationale et la conjugaison des forces nationales sauveraient le Tchad. Le cas contraire mettrait ce pays à positionnement stratégique dans une situation comme celle de son voisin, la Libye.