Libre Tribune : la politique étrangère de la France chavire-t-elle ?

Libre Tribune , la politique étrangère de la France chavire-t-elle

Guy-victoire Kanikatoma SANBENA

La république de Macron semble aux abois sur le plan diplomatique. La montée de la température au Quay d’Orsay ces derniers jours, peut suggérer à tout observateur avisé, que la politique étrangère de la France a du plomb dans l’ail.

Les affronts, en un point, se sont enchainés pour la France. Même si l’État malien indique « que rien n’est acté avec Wagner », le tapage médiatique sur les médias francophones en Afrique renvoie un signal. Paris semble être au plafond de sa colère face à cette probable arrivée de ces « mercenaires russes » dans le merdier malien. Le ton monte, la CEDEAO désapprouve, Bruxelles s’exclame et le quai d’Orsay multiplie les annonces.

Guy-victoire Kanikatoma SANBENA

De l’autre côté, les rumeurs ne fuitent pas trop, et l’on ne voit encore rien arriver. Le coup d’éclat fait la une des médias. L’Australie rompt le « contrat du siècle » relatif à la commande de douze sous-marins à propulsion conventionnelle français d’un montant total de 31 milliards d’euros. C’est sans aucun doute, un coup dur supplémentaire pour la diplomatie française. L’arsenal diplomatique s’enclenche encore une fois, cette fois avec un communiqué conjoint.

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Les ministres français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et des Armées, Florence Parly, dénoncent une « décision regrettable, contraire à la lettre et à l’esprit de la coopération qui prévalait entre la France et l’Australie ». Cette amertume est d’autant plus compréhensible que Paris s’active dans cette partie du monde, regrettant que la rupture intervienne « au moment où nous faisons face à des défis sans précédent dans la région indopacifique, que ce soit sur nos valeurs ou sur le respect d’un multilatéralisme fondé sur la règle de droit, marque une absence de cohérence que la France ne peut que constater et regretter ».

Le pré carré africain glisse t’il entre les doigts du coq gaulois ?

Jean-Yves Le Drian, ministre français des affaires étrangères

La France semble ne pas s’affranchir de son long passé colonial avec l’Afrique. Les intérêts probablement y résident encore. Comme l’illustre bien Seydou Badian : « le séjour dans l’eau ne transforme pas un tronc d’arbre en crocodile ». Même si le temps passe et que les méthodes changent, les objectifs restent identiques.

Tel peut-être sommairement résumé les relations entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique de l’Ouest et du Centre plus connues sous le nom de la françafrique. Dans tous les regroupements sous régionaux francophones ainsi que dans toutes les anciennes colonies d’Afrique francophone, la France fait feu de tout bois pour maintenir vaille que vaille son influence qui semble s’effriter avec le temps et la montée de nouvelles élites dans les cercles de décisions.

Depuis l’opération Sangaris, l’Hexagone avait déjà perdu du terrain face au Kremlin qui a fait de la Centrafrique son nouveau pré-carré en Afrique. Si au Mali on redoute une influence russe, en Centrafrique cela reste une évidence. La France voit davantage d’un très mauvais œil cette omniprésence russe sur « son territoire ».

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Le clou a été le conflit de 2012 à 2014 qui a opposé l’ex-rébellion Séléka, et des formations d’auto-défense dites anti-balaka. Des violences qui se sont poursuivis jusqu’en 2017. Mais, le vent a tourné avec le président Faustin-Archange Touadéra qui a sollicité la Russie. Profitant du besoin en armement du gouvernement centrafricain, les Russes ont fait coup double : fournir des armes russes et être dans l’entourage direct du président Touadéra. Ils vont aider le président centrafricain à reprendre progressivement le contrôle de tout le territoire et apaiser le pays. Sonnant ainsi le glas de la fin de l’hégémonie de la France en Centrafrique.

Emmanuel Macron, président français

La contre-offensive diplomatique de la France, qui a tardivement appréhendé la nouvelle situation, n’y changera rien. Ce coup dur pour la politique étrangère de la France est sur le point de se répéter au Mali, un autre pré carré du pays du Général De Gaulles. Depuis quelques jours, les autorités françaises, à travers un lobbying international et une médiatisation accrue, essaient d’empêcher une manifestation de l’opportunisme du Kremlin. Si ce scénario se concrétise, ce sera une autre claque à la politique étrangère de la France, qui ne retrouve plus vraiment ses marques.

La politique étrangère de la France humiliée ??

Aussi bien qu’en Afrique, la France n’est pas à l’abri d’une déchéance sur le plan international. La confirmation en est faite par la tension née entre elle et ses alliés hors du continent noir. La coalition formée par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie au détriment de la France prouve à suffisance que la politique étrangère de la France a perdu de sa gloire d’antan. Les agitations du Quai d’Orsay ne provoquent aucun regret chez son homologue américain Joe Biden.

Ce dernier ne s’est pas du tout excusé d’avoir fait rompre le contrat signé des années, entre la France et l’Australie ainsi que de proposer en échange au pays anglo-saxon, un accord tripartite avec le Royaume-Uni. A travers l’alliance Aukus, les USA et le Royaume-Uni vont livrer des sous-marins à l’Australie en lieu et place de la France. Il s’agit d’un partenariat stratégique dans la zone indo-pacifique pour contrer les ambitions chinoises. Et donc allant premièrement dans les intérêts des Etats-Unis, qui après l’humiliation subie en Afghanistan ont besoin de relever la tête. Le programme América First de Trump et Biden est ainsi en marche et la politique étrangère de la France semble être impuissante à enrayer cette avancée.

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Boris Johnson, premier ministre britannique

En outre, le premier ministre Boris Johnson se frotte bien les mains de cet accord. Ce dernier ne s’est pas gêné pour planter le couteau dans le dos de Macron, comme une réponse à l’isolement que l’Union Européenne a voulu infliger à son pays, après sa sortie de l’union. Aukus conforte la stratégie « Global Britain » de Boris Johnson et confirme sa « relation spéciale » avec Washington.

Même si le site d’information LCI informe que « Boris Johnson a exprimé son intention de rétablir une coopération entre la France et le Royaume-Uni » ce 24 septembre, le premier ministre britannique ne semble pas prêt à rejeter l’alliance Aukus.

La France semble bien isolée, vu que l’Union Européenne a confirmé, jeudi 23 septembre, le maintien des discussions sur le commerce et les technologies prévues la semaine prochaine avec les États-Unis. Paris faisait circuler l’idée du report de cette réunion. Une tentative désespérée qui prouve à suffisance combien le pays de Emmanuel Macron perd ses repères dans son pré-carré.